samedi 15 septembre 2018

Corps naturel, corps artificiel : Corrigé rédigé de la synthèse n°1


Le sujet se trouve ici.

« L’homme, dit Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra, est fait pour être dépassé. » Depuis sa dissociation d’avec le genre Pan (chimpanzés) il y aurait environ six millions d’années, la lignée humaine (Homo) n’a cessé d’évoluer et de se dépasser. Devenant exclusivement bipède, voyant sa taille augmenter, se mettant à consommer de la viande, fabriquant des outils, au fil du temps, l’homme s’éloigne de son origine. Certains, aujourd’hui, qu’on appelle transhumanistes, pensent que l’homme actuel va connaître dans le futur une transformation décisive. On peut se demander si ce dépassement, cet avènement d’une sorte de surhomme nietzschéen est une bonne ou une mauvaise nouvelle. Le présent corpus réunissant Fukuyama, Ferry, Le Dévédec, Guis et Houellebecq apporte une réponse à cette question. Dans un premier temps, il nous permettra de définir le transhumanisme et, par la suite, il nous révélera les craintes et les espoirs attachés à ce courant de pensée.

Les transhumanistes sont les partisans d’une transmutation de l’homme grâce à la technologie. Cette transformation radicale doit amener le remplacement de l’homme naturel par un homme amélioré. Le texte de Houellebecq évoque un surpassement de l’espèce humaine qui laisserait la place à une nouvelle race. Selon Fukuyama, les transhumanistes souhaitent que l’espèce humaine devienne maîtresse de son évolution au lieu de subir le hasard génétique et l’influence du milieu. On croirait, nous dit cet auteur, avoir affaire à une frange d’intellectuels minoritaires. Mais, selon Luc Ferry, ce courant de pensée est très développé en Amérique du Nord où, massivement subventionné par Google, il fait l’objet d’un très grand nombre de travaux et d’échanges d’universitaires et de philosophes. Pour les transhumanistes, dit le document 1, l’homme nouveau possédera des aptitudes physiques et mentales bien supérieures. Mais il jouira aussi d’une longévité accrue jusqu’à atteindre peut-être l’immortalité. En outre, selon le philosophe David Pearce que cite le document 1, grâce aux psychotropes il connaîtra un bonheur constant. L’utopie futuriste de Houellebecq le confirme, en donnant la parole à des transhumains heureux qui ont rompu avec les défauts de l’humanité et qui semblent aux yeux des derniers hommes baigner dans une béatitude édénique. Les moyens de cette transformation de l’humanité en transhumanité seront, d’après Fukuyama et Ferry, ceux de la technologie et, en particulier, de la biotechnologie et de la médecine, de la cybernétique et de l’intelligence artificielle. Certains de ces moyens sont d’ailleurs plus ou moins ébauchés, nous disent Fukuyama ainsi que Le Dévédec et Guis, en médecine avec les dépistages génétiques, les psychotropes, ou dans le domaine de la défense avec les exosquelettes.

Une fois le transhumanisme défini il faut se demander s’il doit susciter l’adhésion ou le rejet. Les auteurs nous apportent des réponses divergentes à cette question. Les uns, tels que Fukuyama, sont très critiques à ce sujet. Cet auteur pense, en effet, que le transhumanisme comporte deux dangers majeurs. Tout d’abord, il ouvre une brèche qui pourrait devenir béante dans le principe de l’égalité qui est, dit-il, au centre du libéralisme et qu’une longue lutte a permis finalement d’établir dans nos sociétés. Le transhumanisme menace selon lui l’égalité de deux façons : d’une part en instaurant une inégalité de fait entre humains et humains améliorés, d’autre part en aggravant l’inégalité entre les pays riches capables d’accéder au transhumanisme et les pauvres. De plus, la supériorité des transhumains poserait un problème de droit dans la mesure où ils pourraient revendiquer des droits supérieurs à ceux des humains. Fukuyama fait un deuxième reproche au transhumanisme : les transhumanistes, dit-il, prétendent aboutir à un être meilleur que l’homme actuel. Mais, objecte-t-il, la conception d’un homme meilleur est hautement problématique car les caractéristiques les plus souhaitables sont sujettes à discussion. Ferry, lui, ne s’oppose pas au transhumanisme. A la différence de Fukuyama, il y voit un remède à certaines inégalités, celles de la nature évidemment. Il cite la devise du transhumanisme qui veut remplacer le hasard par le choix. Pour Ferry, ce mouvement prend racine dans le développement de la liberté humaine depuis la fin du XVIIIe, il découle de l’idée de progrès. D’ailleurs, selon le document 1, les transhumanistes, eux-mêmes, pensent que le transhumanisme n’est que la phase ultime d’un mouvement qui a débuté au commencement de notre espèce, un effort continu de dépassement et de progrès. L’un des arguments majeurs en faveur du transhumanisme est donné à la fois par Fukuyama et par Houellebecq. Il s’agit de la misère de la condition humaine frappée par la mort, la maladie, mais également avilie par la violence, la méchanceté et la dureté.

On voit donc que l’avènement d’un homme supérieur, même s’il n’est pas pour tout de suite, est pris très au sérieux et qu’il suscite certaines controverses. Il semble, en effet, à travers ce corpus, que les progrès de la biogénétique, de la médecine et de toutes les techniques permettant d’hybrider plus ou moins l’homme et la machine rendent probable, sinon inévitable, une mutation volontaire de notre espèce. Il faut peser les mises en garde de Fukuyama qui donnent beaucoup à réfléchir mais également les arguments plus ou moins optimistes en faveur d’un dépassement de l’humain.

vendredi 31 août 2018

Seuls avec tous ceux qui réussissent et tous ceux qui ne sont rien

Avec les étudiants nous nous entraînons à analyser une phrase, une idée. Exemple :

En cours, on parlait de l'égalité. Il m'est arrivé cette année qu'un étudiant me dise :
- Mais, monsieur, comment un défenseur de la République peut-il dire : "Il y a ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien"? C'est l'égalité, ça?
Comme je ne suis plus l'actualité, je ne savais d'où il tirait ce propos. Je lui réponds donc qu'il a raison. J'ajoute qu'il faut voir le contexte, savoir ce que l'auteur de cette phrase entend par réussite. Si c'est le sens le plus commun, argent, position sociale supérieure, alors, en effet, ce propos digne de Bel-Ami s'accorde mal avec une foi républicaine. Comment prétendre que les ouvriers non qualifiés ou les simples gardiens de la paix, par exemple, ne soient "rien"? Et puis, la république, si l'on en croit Rousseau, exige la vertu. Or la richesse et le pouvoir n'ont pas la vertu pour condition nécessaire, elles s'accommodent parfois d'un manque de vertu. Cette réussite-là n'incarne pas l'idéal républicain. S'agirait-il d'une autre réussite? Il y a tant de réussites possibles qu'on ne voit plus qui se placerait alors dans la classe des "riens". Même un sdf, après tout, peut connaître une forme de réussite, une réussite spirituelle, ou bien simplement celle de se sortir de la rue. Et tant qu'on n'est pas mort, la réussite est encore possible. Donc personne n'est un raté définitif, donc personne n'est "rien". Donc, cette phrase ou bien elle ne veut rien dire, ou bien elle est en effet contraire à l'esprit républicain mais aussi à l'esprit chrétien et à la plupart des éthiques. Quant au mot "rien" que signifie-t-il? On comprend évidemment qu'il signifie "sans importance", "négligeable", "sans valeur". Mais qui fixe la valeur d'un individu? La société le fait dans une certaine mesure mais normalement, selon les droits de l'homme, les individus sont égaux et donc ont la même valeur. Ils n'ont pas le même revenu évidemment parce que leur travail ou leur patrimoine n'ont pas la même valeur. Mais en tant que personne, ils ont la même valeur du point de vue juridique et éthique. Un esprit républicain, mon étudiant a raison, ne peut faire de différence de valeur éthique et juridique entre les individus. Voilà ce que j'ai dû dire à l'étudiant.

Seuls avec ceux qui réussissent ou ceux qui ne sont rien?

"Il y a les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien". (Extrait d'un discours du président Macron)
La phrase divise en deux catégories opposées et complémentaires l'ensemble des gens. Les gens qui réussissent sont quelque chose et les gens qui ne sont rien ne réussissent pas. Il y a une équivalence entre réussir et être quelque chose comme entre ne pas réussir et n'être rien. Que veut dire "réussir"? La réussite est l'élévation sociale. Que veut dire "être" quelque chose ou rien? La phrase ne dit pas : "il y a des gens qui réussissent et des gens qui ne deviennent rien". Donc, les gens qui ne réussissent pas (ou qui ne deviennent rien) sont rien dès le départ, par nature. Ils ne réussissent pas tout simplement parce qu'ils n'ont pas les capacités pour (intelligence, endurance au travail, talent, voire vertu). Cette phrase signifie donc que dans notre société si on n'est rien (dépourvu de capacités) on ne réussit pas. Et si on réussit, c'est qu'on est quelque chose (intelligent, travailleur, vertueux, talentueux.) Donc notre société est juste. Elle récompense ceux qui méritent de réussir parce qu'ils sont quelque chose (intelligents, etc.) Elle ne récompense pas et elle laisse à leur néant ceux qui ne possèdent pas les qualités dignes de mérite. Et voilà; le tour est joué. Nous vivons dans une société juste car fondée sur la reconnaissance du mérite, c'est-à-dire des capacités strictement personnelles. Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il n'est donc pas nécessaire de changer de type de société, de la réformer en profondeur, il suffit de quelques ajustements qui permettent d'amplifier et de faciliter la réussite de ceux qui sont par nature quelque chose ou pour le dire autrement de ceux qui ont une bonne volonté, intelligente et vertueuse. Cette phrase ne peut pas être compatible avec une volonté de changer la hiérarchie sociale, de réduire les inégalités ou d'améliorer la mobilité sociale. Elle est finalement une phrase de conservateur plutôt que de réformateur. Donc soit M. Macron est réformateur et ne pense pas vraiment ce que dit cette phrase, soit il le pense vraiment et n'est pas vraiment réformateur. M. Macron est optimiste. On pourrait en effet penser que le mérite est la base d'une société juste mais penser en même temps que dans notre société les gens méritants ne réussissent pas toujours. Autrement dit on pourrait penser qu'il y a des gens qui sont quelque chose (intelligents, talentueux, vertueux) et qui pourtant ne réussissent pas. Et on pourrait penser qu'il y a des gens qui ne sont pas grand chose (peu talentueux, peu intelligents ou peu vertueux) et qui pourtant réussissent grâce à la chance d'appartenir à un milieu, à une famille, etc. On pourrait, pensant cela, trouver que pour être vraiment basée sur le mérite notre société devrait changer d'ascenseur. Par exemple, instaurer, un peu comme dans la République de Platon, un système plus fiable de repérage des individus méritants, de ceux qui sont capables, détecter très tôt par des tests, des évaluations, des expérimentations, les individus qui sont quelque chose (intelligents, vertueux, talentueux) et qui devraient donc tous emprunter l'ascenseur jusqu'aux étages les plus élevés. Ce serait à l'avantage de la société puisqu'il est préférable pour elle que les individus les plus haut placés, aux postes de grande responsabilité, soient bourrés de ces capacités qui font d'une personne "quelque chose". De même il serait à l'avantage de la société que les nuls restent au bas de l'échelle. Personnellement, je ne suis pas d'accord avec cette conception, peut-être devrais-je l'être mais je n'y arrive pas. Comment justifier mon désaccord? Je ne vois que trois arguments : d'une part la société compte moins que les personnes qui la composent. Je préfère une société moins performante, moins prospère où le destin des personnes ne soit pas régi par une logique étroite, économique par exemple. D'autre part il faut ménager la part du hasard, de la chance car si le hasard est bête, la raison est parfois myope. Je ne crois qu'une société puisse sans danger réaliser une parfaite égalité des chances. Mais peut-être après tout pourrait-elle, si on la désire plus juste sans recourir au communisme, accorder plus de poids dès l'enfance ou l'adolescence à une évaluation des qualités strictement personnelles indépendamment de toute origine sociale, sans tomber dans une dystopie. Mais le troisième argument me paraît le meilleur. Si l'on ne croit pas en la liberté de la volonté, si l'on n'admet pas que l'individu puisse avoir la faculté de mettre entre parenthèses tout ce qu'il est (génétiquement et sous l'effet du milieu) pour ne laisser agir qu'une "bonne volonté" raisonnable, alors on ne croit pas au mérite de la personne puisque ses capacités sont dues au hasard ou au déterminisme universel, à la chance en somme. C'est une chance d'être intelligent, travailleur, vertueux, talentueux, etc. Ce n'est pas le choix libre d'un sujet pensant car si c'était le cas toute personne ferait le bon choix, on ne voit pas pourquoi choisir librement ce qu'on juge mauvais. Si, par exemple, les élèves disposaient d'une libre volonté, ils choisiraient tous d'être travailleurs pour avoir les meilleures notes et le meilleur avenir. A moins bien sûr que leur raison ne leur dise que les notes, les diplômes, le métier recherché ne sont pas compatibles avec la quête du bonheur. Si l'on pense que personne n'est libre d'être vertueux, travailleur, intelligent, alors le mérite individuel n'a pas de sens. Les uns ont la chance d'être ambitieux, courageux, persévérants, d'autres ont la malchance de l'être beaucoup moins ou pas du tout. Chance ou malchance dans notre système social, car après tout un vagabond tel que Knulp, le héros du roman de Hermann Hesse qui vit sa vie comme la cigale de la fable, a peut-être plus de "chance" que le fort en thème qui devient patron, haut fonctionnaire, etc. Cela dépend de l'échelle que l'on choisit pour mesurer la "chance", échelle de la réussite sociale, du développement de toutes ses facultés (associé par Aristote au bonheur), du dévouement aux autres, de la contemplation ou de la gaieté insouciante.

mardi 3 avril 2018

Seuls avec tous : problématique et analyse

Thème n°2 - Seuls avec tous

Problématique
« Moi seule, et c'est assez ! » : par cette affirmation, la terrible Médée répond à sa confidente qui lui demande ce qui lui restera une fois son forfait accompli. Deux siècles après Corneille, Balzac reprend ces mots pour les mettre dans la bouche de la coquette duchesse de Langeais. Cette citation devient ainsi l'expression d'un égoïsme forcené qui, pour une part, caractérise nos sociétés contemporaines parfois taxées d'individualisme. À l'opposé, on entend le slogan scandé par des groupes de toute nature - rassemblements sportifs, associatifs, politiques, etc. - : « Tous ensemble ! ». Ces deux exclamations expriment deux comportements que chacun de nous peut ponctuellement ou durablement adopter.
C'est tantôt l'individu qui s'impose, avec ses enjeux personnels, ses impératifs identitaires, ses désirs égoïstes ; c'est tantôt le groupe qui permet d'exister, de se construire dans une collectivité, une communauté. La langue française saisit la totalité selon deux pronoms indéfinis à la valeur bien différente : « chacun » rend compte d'un ensemble sur un mode distributif quand « tous » ne saisit le groupe que de façon indistincte.
Si l'individu court le risque de se diluer dans le groupe, d'y perdre son originalité et sa liberté, inversement la société lui permet de maîtriser ses passions, de réguler ses excès et le groupe lui donne la puissance de l'action collective. En parlant d'une même voix, en unissant les énergies, le groupe gagne en cohérence et en efficacité. Le collectif est ainsi un moteur dans les domaines politiques, économiques, sociaux et artistiques. Aujourd'hui, les structures participatives, associatives, coopératives, mutuelles, donnent l'avantage à des usages partagés.
Comment conjuguer des forces et des intérêts divers dans une action et une existence communes, mais aussi, comment respecter les particularités d'individus, de personnes essentiellement singulières ?


 Commentaire (bon courage) :

Les institutions, qu'elles soient publiques (État) ou privées (médias) ont évidemment le soin de mettre l'accent sur le caractère social de l'être humain, de rappeler à chacun ce qu'il doit à la société et à quel point il en est dépendant, aussi bien pour sa subsistance, sa sécurité que son développement. Ainsi, dans la république, l'individu doit être un citoyen, de préférence vertueux, qui prenne part à la vie publique. C'est, en gros, l'idéologie française qui fait de la "volonté générale" incarnée par l’État le régulateur et le guide des volontés particulières. Le républicanisme a tendance à privilégier la volonté générale et l’État et donc à soumettre les individus à un certain formatage via la loi, les règlements et les procédures de l'administration et l'éducation. Le libéralisme, on le sait, considérant que la somme des volontés individuelles forme finalement un ensemble cohérent qui profite à tous, réduit plus ou moins l'emprise de l’État et de la volonté générale que celui-ci est censé représenter. Dans ces deux systèmes, la tension entre liberté et égalité demeure, mais la république met plutôt l'accent sur l'égalité tandis que le libéralisme le met davantage sur la liberté. Quant au socialisme, quand il ne se confond pas avec une vague social-démocratie, il va évidement bien plus loin que le républicanisme dans cette préférence pour l'égalité et le fait, souvent, au détriment d'un certain nombre de libertés. Si les institutions et les puissants qui ont intérêt à maintenir fermement celles-ci ont tendance à insister sur la caractère social de chacun, sur le socius plutôt que sur l'individu (moins sans doute dans un système plus libéral), les laissés-pour-compte, les défavorisés, les marginaux et les exclus ont au contraire plutôt tendance à bouder la prétendue providence d'une société qui ne leur profite guère. Au plus bas de l'échelle sociale, les sdf (même si en France ils bénéficient du RSA) ne se sentent guère, en général, les débiteurs d'une société qui ne les a pas formés pour y tenir une place digne d'eux. (En France, selon l'INSEE, ces sdf étaient un peu plus de cent quarante mille en 2012 et leur nombre aurait, selon la fondation Abbé Pierre, augmenté de cinquante pour cent entre 2001 et 2012.) Les plus solitaires, dans notre société sont sans doute ces sans-abri, plus solitaires encore que les personnes âgées, veufs ou veuves sans enfants ou délaissés par leurs descendants. Ce sont eux qui sont seuls parmi tous. En remontant un peu les barreaux de l'échelle sociale, on rencontre des individus intégrés qui peuvent trouver quelques bénéfices dans la société et qui partagent avec leurs semblables une existence commune comme dit la "problématique" officielle du BTS. Ils partagent dans une plus ou moins grande mesure selon leur niveau social les fruits de la croissance et jouissent, en France, des services dits publics. Mais cette existence commune se limite aux échanges économiques et socio-culturels nécessaires à leur subsistance et à leur citoyenneté, elle n'est que l'existence d'un groupe organisé de l'extérieur par l’État et les forces économiques, elle n'est pas l'existence d'êtres unis par une action ou un projet communs et donc par une conscience partagée.  Ce n'est pas la même chose d'être un citoyen français qui travaille, paie ses impôts, profite des services publics et entretient un minimum de sociabilité, et par exemple d'être un résistant engagé dans une lutte pour la libération de son pays. C'est ici qu'intervient le troisième terme du fameux triptyque républicain, la fraternité. On a beau la proclamer vivante dans notre société, on peine souvent à la sentir s'incarner. La fraternité, en revanche, tous ceux qui ont fait la résistance en France pendant l'occupation l'ont fortement connue. Ils étaient seuls, car ils avaient souvent tout perdu, travail, logement, identité, mais ils étaient "avec tous" ou du moins avec certains au point qu'on ne pourra jamais l'être davantage, et plus qu'on ne l'est avec nos voisins de quartier, nos collègues de travail, nos concitoyens. L'être avec les autres, c'est-à-dire l'échange ou le partage, va de la simple coexistence spatiale à la fraternité totale en passant par tous les degrés intermédiaires. Ainsi peut-on être seul avec les autres au milieu de la foule, seul avec les autres dans les échanges divers qui associent les habitants d'un quartier, les collègues de travail, les supporters d'une équipe, les usagers de Facebook, etc. Sartre faisait une distinction entre la sérialité (appartenance purement objective à une série : classe sociale, employés d'une entreprise, usagers du bus, etc.) et le groupe qui réunit des consciences ayant un projet commun. Un événement peut suffire à passer de la série au groupe, un événement négatif, selon Sartre, va souder les usagers ou les membres de la série et les animer d'un projet commun, ils s'associeront pour faire front contre une menace ou une privation. C'est ce qu'on constate dans les mouvements sociaux, les manifestations, les révoltes, les révolutions, mais aussi dans des actions bien plus anodines, celle par exemple des supporters d'une équipe, qui se liguent contre la menace d'une défaite. La participation à un projet commun tend à gommer un grand nombre de particularités individuelles qui s'effaceront au profit du rôle de chacun dans le groupe. Ainsi, parmi les résistants français, peu importait que l'un soit ouvrier, l'autre professeur, banquier, l'un hétérosexuel, l'autre homosexuel, l'un juif, l'autre catholique ou athée, etc. Lorsque la menace ou la privation ne se présentent plus, lorsque la lutte est achevée, alors chacun a tendance à revenir à soi-même et à ses affaires privées. Comme le dit la "problématique" officielle, "l'individu (...) s'impose avec ses enjeux personnels, ses impératifs identitaires, ses désirs égoïstes". Cependant, il faudrait préciser que les "impératifs identitaires" impliquent l'appartenance à une série sinon à un groupe au sens sartrien. Pour avoir une identité, il faut être de telle nationalité, de telle confession éventuellement, se reconnaître dans telle communauté, puisqu'on s'identifie toujours par le croisement des catégories auxquelles on se sent appartenir. Un Robinson finit par perdre son identité qui, comme l'a montré Michel Tournier dans son roman, se fond dans une entité plus vaste, en l'occurrence l'île baptisée Speranza. La "problématique" ne fait pas la différence entre la série et le groupe, entre la simple détermination objective et l'auto-détermination subjective. Et pourtant, ce n'est pas la même chose que d'être français par hasard et de l'être par choix, la preuve en est que la France demande aujourd'hui aux candidats à la nationalité un certain engagement. Ce n'était pas la même chose que d'être un militant bolchévique ou un ouvrier sans conscience politique. La "problématique" fait, avec l'expression "tantôt (...) tantôt", une alternative ou une succession de l'égoïsme et de la vie dans le groupe. Mais il semble plutôt que les deux coexistent toujours quand il y a engagement collectif, sauf dans les cas où l'individu se déshumanise pour devenir un simple rouage, comme certains adeptes de sectes ou par exemple tel fonctionnaire nazi semblable à Eichmann dont Arendt voyait la dangereuse banalité. Rien, en effet, peut-être, de plus dangereux qu'un individu qui est à tel point adapté au rôle conféré par le groupe qu'il en perd toute personnalité, ou du moins que sa personnalité n'oppose plus la moindre résistance au fonctionnement du groupe. Cependant, la question n'est pas de savoir comment respecter les singularités dans le groupe comme le dit la "problématique", car le groupe s'enrichit de toute façon des particularités utiles et laisse de côté les autres qui sont indifférentes. Celui, dans le groupe, qui a le don de s'exprimer, deviendra, par exemple, le porte-parole, etc. Il ne faut pas, comme le fait la "problématique", opposer les enjeux individuels et les enjeux du groupe. Lorsque l'on adhère au groupe, on fait siens ses enjeux, et on les concilie avec des aspirations personnelles, sinon on cesse d'y adhérer ou l'on renonce aux aspirations incompatibles. Il s'agit d'un groupe choisi. Mais si l'on parle d'un groupe imposé, comme, par exemple, l'ensemble des pensionnés, alors on ne peut certes que subir une baisse des retraites, par exemple, décidée par le gouvernement, mais on n'est jamais seul à le faire et l'on peut passer de la série au groupe d'action, manifester son mécontentement. Si les intérêts personnels et collectifs ne sont pas compatibles, on tranche le dilemme par un choix et ce choix est de toute façon personnel. C'est Roméo qui choisit Juliette plutôt que les Montague. C'est Titus préférant l'empire à Bérénice. Roméo "se construit" comme dit la "problématique" (les auteurs de ces problématiques affectionnent ce terme comme si l'on organisait sa personne ou seulement sa vie selon un plan établi à l'avance) en rompant avec le groupe famille, Titus "se construit" en s'identifiant à l'empire. L'un et l'autre sont également égoïstes. Et le général de Gaulle qui s'identifiait à la France ne l'était pas moins. Celui qui vit seul, l'ermite, l'homme de la tour d'ivoire, ne vit pas plus au détriment d'autrui que celui qui s'investit dans la communauté, au moins ne risque-t-il pas de nuire aux autres par son pouvoir. Le culte de soi en lui-même n'est pas préjudiciable aux autres, il le devient quand l'égoïste dispose d'un pouvoir, d'une influence qui lui permet de dominer et éventuellement de contraindre. Ce n'est pas la préférence pour soi qui est mauvaise, c'est la domination. C'est sûr que le sdf pense avant tout et souvent exclusivement à lui-même. En quoi nous nuit-il ? Il est aisé de penser aux autres quand on a du pouvoir, on est même obligé de le faire pour exercer ce pouvoir et éventuellement l'étendre. Il est souvent politiquement correct dans notre société d'opposer égoïsme et sens du collectif. Comme dit la "problématique", on dénonce parfois un "égoïsme forcené qui, pour une part, caractérise nos sociétés contemporaines parfois taxées d'individualisme". C'est devenu un lieu commun que de relever cet individualisme qui a commencé à prospérer sur les ruines de la société traditionnelle. Mais enfin, le prétendu "altruisme" existait-il davantage dans la société traditionnelle ? N'était-il pas en réalité un "intérêt bien compris" ? Pour conclure provisoirement, on pourrait dire qu'on n'est jamais seul avec tous. On est soit seul parmi tous, soit avec certains et éventuellement opposé à d'autres. 

La ZAD de Notre-Dame-des-Landes, une tentative de communalisme ?









Comme disait Roger Waters des Pink Floyd dans "Hey you" : 
"Hey you, don't tell me there's no hope at all
Together we stand, divided we fall"

Seuls avec tous dans la musique :









L'actualité française fournit en ce mois de juin 2018 un fait qui peut illustrer le thème de la problématique et l'opposition solitude vs communauté. Il s'agit de l'interdiction du portable ou plus exactement de l'un de ses motifs. « Quand, dans une cour, vous voyez des jeunes gens côte à côte fixés sur leurs portables, que ces portables vont amplifier parfois des attitudes de harcèlement, de disputes entre les jeunes », cela « rompt le lien de convivialité ou de partage », a estimé Richard Ferrand. C'est toujours le même argument, celui que tiennent les technophobes depuis le développement des appareils numériques, cet argument qui consiste à prétendre que le téléphone et l'ordinateur tuent la convivialité. On a déjà parlé de la question il y a quelques années ici à propos des échanges numériques. On s'est référé à des travaux de sociologues qui tendaient à prouver le contraire. Deux choses viennent à l'esprit : premièrement, il n'est pas avéré que l'usage du portable nuise à la communication entre élèves. Il me semble, au contraire, que les musiques, les images, les jeux, les sms du portable alimentent les échanges non numériques. Il arrive qu'on voie des élèves, des étudiants se montrer quelque chose sur leur écran, parler d'une photo, d'une musique, etc. D'autre part, il y a dans les propos du député Ferrand la marque de cette croyance dans la supériorité du commun et cette méfiance à l'égard de la solitude, comme si celle-ci était signe de sociopathie ou d'un autre mal. Dans notre société, les solitaires sont souvent mal vus et pourtant, mis à part quelques cas très minoritaires de psychopathes ou de misanthropes agressifs, ils causent moins de mal à leurs prochains puisqu'ils ont moins de rapport avec eux. Si comme dit Hobbes, l'homme est un loup pour l'homme, pas étonnant qu'on ait besoin de solitude pour être en paix. Et cette paix est indispensable à la réflexion, à la vie spirituelle, à la création. Je crains que dans cette obsession de la communauté se cache en fait un désir de contrôle des individus. La "problématique" officielle l'avoue : "la société, dit-elle en parlant de l'individu, lui permet de maîtriser ses passions, de réguler ses excès". Ce qui est drôle c'est qu'elle ne mentionne pas les passions et les excès collectifs, qui pourtant ne sont pas moins puissants et parfois destructeurs. Je ne suis pas le seul à penser que plus la société encourage l'individualisme (pour des raisons d'abord économiques) et dans une certaine mesure l'anonymat, plus elle s'efforce de mettre en place un contrôle des individus et une règlementation de leurs vies. La dernière loi sur le portable n'en est qu'un petite illustration parmi tant d'autres. 

Vous êtes trop sages les gosses, bagarrez-vous plutôt !

lundi 12 mars 2018

Corps naturel, corps artificiel : sujet de culture générale n°5


1) Vous ferez une synthèse objective, concise et ordonnée des documents suivants :

Document 1 :


Le XIXe siècle, maladivement pudibond (la tenue féminine – corset + jupon + jupe longue – doit tout cacher, la masturbation est accusée des pires maux…), n’en voit pas moins le nombre de baignoires publiques passer de 500 à 5 000 à Paris entre 1800 à 1850, même si le bain est jugé immoral. Bref, le souci de soi n’est pas né avec la seconde moitié du XXe siècle et la révolution sexuelle des années 1960. Et « l’histoire de ­l’Occident est ponctuée de découvertes successives du corps, de ses sensations et de ses apparences », dit Georges Vigarello.
Pour autant, comment expliquer que le corps, subi, redouté et refoulé par puritanisme il n’y a pas si longtemps, ait changé de fond en comble de statut en quelques décennies au point de devenir un objet de culte, un capital à préserver coûte que coûte, un repère identitaire central ? Semblable (r)évolution ne s’est pas faite en un instant. D’abord, depuis le milieu du XIXe s, grâce aux progrès de la médecine et de la technique, le corps n’a cessé de livrer ses secrets. « Il est de mieux en mieux connu, entretenu, soigné, réparé et appareillé, analyse Isabelle Queval, du Centre Edgar Morin. Le recul de la maladie et l’allongement continu de l’espérance de vie dans les pays riches font que l’on vit mieux avec son corps. “Mieux vivre son corps” devient “être son corps”. Autrement dit, on peut agir sur lui, le contrôler, le planifier, le perfectionner, le renouveler… »
Si le corps se taille de nos jours la part du lion dans la culture occidentale, c’est aussi parce que la démocratie, en s’enracinant dans nos sociétés, « a amené les sujets à exister de plus en plus sur le mode de la décision individuelle, insiste Georges Vigarello. En disposant d’une part croissante d’autonomie, chacun peut s’interroger plus finement sur ce qu’il est et ce qu’il a envie de faire. De façon générale, plus une société va dans le sens d’une conquête individuelle, plus elle donne de place au plaisir, au désir et donc à tout ce qui touche à la sphère corporelle ». De la disparition du corset à l’essor des salles de remise en forme et de la chirurgie esthétique, de la découverte du « soleil plaisir » dans les années 1920 à la mise en culture du corps via la fécondation in vitro, de la banalisation des moyens contraceptifs grâce auxquels la féminité n’est plus systématiquement liée à la maternité au succès des produits cosmétiques pour les deux sexes, en passant par les nouveaux rituels hédonistes (massages, spas, thalassothérapies…), le boom de l’alimentation « bio » et celui de la DHEA promesse de jouvence éternelle…, tout concourt, depuis plus d’un siècle, à faire de l’apparence corporelle « le vaisseau amiral de l’identité », assure Isabelle Queval.

Philippe Testard-Vaillant, « Le diktat des apparences », lejournal.cnrs.fr

Document 2 :


Il s'est passé quelque chose avec notre corps dont nous n'avons pas encore pris toute la mesure. Il était le « tombeau de l'âme » pour Socrate, la source du péché pour les chrétiens, ce dont il fallait apprendre à se détacher parce qu'il nous voue à la souffrance, à la maladie et à la mort. Il est aujourd’hui le siège de toutes les attentions et de tous les plaisirs. Les progrès scientifiques et techniques de ces cent dernières années permettent de resituer ce changement profond dans la longue durée. Marcel Gauchet le décrit remarquablement dans Conditions de l’Education (p 89). Pour lui, la dévalorisation de la connaissance dans notre monde contemporain ne peut être comprise sans la mettre en parallèle avec ce changement de statut du corps : « Plus profondément encore, c’est le socle anthropologique sur lequel reposait la valorisation de la connaissance qui paraît s’être dérobé. Il s’est produit, à cet égard, une inversion capitale, qui pourrait être l’un des évènements fondamentaux de notre vie culturelle récente. D’une expérience millénaire, le corps était tenu pour le lieu de la souffrance et du malheur intimes. En regard, l’esprit faisait figure de moyen de s’élever au-dessus de notre propre misère ; il proposait notre seule voie d’accès aux vrais plaisirs, ceux qui durent et dont on est maître ; il s’offrait comme l’instrument de notre bonheur en ce monde et de notre éventuelle félicité dans l’autre. Or nous voici devenus, par la grâce de la médecine, de l’hygiène et de l’abondance, les premiers dans l’histoire pour lesquels le corps est le siège d’un bien-être habituel, sans parler des jouissances promises par une culture hédoniste et permissive (…) [Ainsi] Que faire de savoirs qui « prennent la tête », dans un monde où l’aspiration primordiale est à être « bien dans sa peau » ? Marcel Gauchet se réfère au livre de Hervé Juvin (« l’Avènement du corps ») qui traite spécifiquement de cette transformation. Ce dernier dit notamment dans sa présentation : « Ce corps inventé est le cadeau que nous laisse un siècle de fer et de sang – le cadeau d’une vie qui a doublé. Et ce corps s’est installé en surplomb de nos choix individuels et collectifs. Il a pris le pouvoir ». Faisant un parallèle avec le corps de nos ancêtres (le début du XXème siècle), il dit : « Leur corps de misère et de souffrance est devenu notre corps de performance, de plaisir et d’une initiation qui n’en finit pas à toutes les joies de vivre ». Jugeant que ce nouveau corps a bouleversé notre condition humaine, il annonce en quelque sorte un salut par ce nouveau dieu : « Après les dieux, après les révolutions, après les marchés financiers, le corps devient notre système de vérité. Lui seul dure, lui seul demeure. En lui nous plaçons tous nos espoirs, de lui nous attendons une réalité qui ailleurs échappe. Il est devenu le centre de tous les pouvoirs, l’objet de toutes les attentes, et même celles du salut. Nous sommes ces étranges, ces inconnus, les hommes du corps. ».
Selon Georges Vigarello, la vieille expérience de la transcendance semble s'être rabattue sur l'expérience du corps, cet espace intime totalement retravaillé, indéfiniment réinterrogé dont la présence a grandi avec l'affaissement des " au-delà " et des futurs idéalisés. De ce point de vue l’idéal de perfection dévolu au corps pourrait signifier cet effacement des anciens repères venus du ciel au profit de la performance et/ou de l’esthétisme corporels. Le corps, ou du moins son image, est effectivement magnifié, mais au prix d’une instrumentalisation contraignante : le corps doit se travailler, se modeler à notre guise. Il peut être entièrement voué à la performance (sports de haut niveau, goût pour l’aventure de l’extrême, les raids …etc.). Chacun veut se dépasser pour être mieux et plus. On est de plus en plus dans son apparaître, le langage du corps étant au service d’une incarnation de ce que je suis. Le langage corporel définit une incarnation signifiante. « Le corps décoré, estampé, orné, rehaussé est vécu comme une chair signifiante ». N’y a-t-il pas une certaine contradiction entre l’hédonisme parfois revendiqué, et ce qu’il faut bien appeler une forme d’ascétisme ? L’utopie du corps parfait fait appel à beaucoup de contraintes, d’effort, de renoncement. Le corps devient le lieu de « l’illimité du travail possible » (il n’y a pas vraiment de terme aux efforts permanents que nous pouvons déployer pour notre corps), sans doute à la place de l’illimité traditionnel assuré par les anciennes transcendances. L’illimité de la quête spirituelle, s’est rabattu désormais sur l’illimité de la perfection corporelle.

Daniel Mercier, « Peut-on parler d’un véritable « culte du corps » dans notre société contemporaine ? », cafephilosophia.fr

Document 3 :

 
« Sous les pavés la plage », « faites l’amour, pas la guerre », « interdit d’interdire », « vivre sans temps morts, jouir sans entraves » …, dans le mouvement de prise de parole qui se fait jour en 68, les slogans sont plus souvent poétiques que politiques et non dénués d’humour. La liberté, la fête, le plaisir, voilà ce que réclame une jeunesse impertinente, lassée de la « chape moraliste » qui pèse sur les rapports sociaux et sur la sexualité… Si la révolte a, jusqu’en 1973, des visées politiques portées par des groupuscules d’étudiants trotskistes, maoïstes, communistes, toutes les analyses s’accordent à mentionner la dimension festive, ludique et hédoniste de Mai 68. Tout un courant disparate à tendance libertaire, proche de la mouvance situationniste, s’attaque à la morale et aux institutions au nom de la libération du désir et de l’épanouissement des individus, explique le sociologue Jean-Pierre Le Goff.
Minijupes, seins nus et monokinis pour les filles, cheveux longs et chemises à fleurs pour les garçons, relations sexuelles hors mariage et amour libre revendiqué, rock’n’roll et pop music…, de nouvelles pratiques sont en germe depuis les années 1960. Durant le printemps chaud de 1968, les « pelouses interdites » des parcs parisiens se couvrent subitement de corps plus ou moins dénudés, enlacés ou simplement relaxés…
Car c’est aussi à travers les corps que se manifeste la contre-culture qui signale, selon l’historienne Florence Rochefort, « l’imbrication du culturel et du politique ». La transgression est le mot d’ordre de cette « culture jeune » qui apparaît, identifiée par le sociologue Edgar Morin.
Si la société de consommation récupère cette inventivité et cette marginalité dont la presse, le cinéma, la mode se font l’écho, c’est en fait toute une discipline des corps qui est alors contestée. Michel Foucault en montrera, dans Surveiller et punir (1975), la présence centrale dans le fonctionnement des sociétés bourgeoises de l’école, de la famille, de l’usine, des prisons. En 1975 également, la revue Quel corps ? lancée par Jean-Marie Brohm, développe un positionnement radical qui fait « du corps un point central de la critique du capitalisme »
Un ensemble de mutations d’ordre socioculturel est en marche et tous les domaines de la société sont touchés. Le pouvoir médical et son mandarinat est contesté mais aussi les pratiques. La vogue des médecines douces, venues d’un Orient que certains prônent comme exemple de la sagesse et de la connaissance, grandit. De leur côté, des médecins militants prennent l’initiative d’avorter les femmes, au risque d’une répression pour pratique illégale…
Plus radicalement, l’apparition du mouvement féministe va engendrer une profonde remise en question des normes sexuelles.

Martine Fournier, « Mai 68 et la libéralisation des mœurs », scienceshumaines.com

Document 4 :




 Manifestation féministe des années 1970
Abrogeant la loi en vigueur depuis 1920 qui interdisait « la propagande et l’utilisation des moyens de contraception », la loi Neuwirth du 28 décembre 1967 a autorisé la pilule et légalisé ainsi la contraception.


2) Ecriture personnelle :

Le culte du corps dans notre société est-il une libération ou un diktat de l’apparence ?   

jeudi 25 janvier 2018

Corps naturel, corps artificiel : sujet de culture générale n°4

 


1) Vous ferez une synthèse objective, concise et ordonnée des documents suivants :

Document 1 :

Il y a quelques semaines, un Chinois du nom de Xu Xiaochun a tenu en public des propos qui font froid dans le dos. Xu Xiaochun préside Boyalife, une entreprise ayant investi 31 millions de dollars dans une usine à Tianjin destinée à produire - par clonage - 100.000 embryons de bœuf par an pour satisfaire la demande des Chinois en rosbif. « La technologie existe déjà. Si le clonage humain est autorisé, je crois qu'aucune autre entreprise ne sera mieux placée que Boyalife pour la mettre en œuvre », a déclaré M. Xu, qui ajoute : « Malheureusement, jusqu'à présent­, la seule façon d'avoir un enfant est de mélanger 50 % du patrimoine génétique de la mère et 50 % de celui du père. Mais peut-être à l'avenir aurons-nous trois choix au lieu d'un : soit 50-50, soit un enfant avec 100 % de gènes de son papa, soit un enfant avec 100 % de gènes de sa maman. " Vous frissonnez ?...
Pourtant, le tournant qui a rendu les déclarations de M. Xu possibles est passé relati­vement inaperçu. En 2013, un généticien américain du nom de Shoukhrat Mitalipov, de l'université de l'Oregon, a publié dans la revue « Cell » le compte rendu de ses manipulations : il était parvenu à obtenir par clonage un embryon humain qu'il a laissé se développer in vitro pendant une demi-douzaine de jours (jusqu'au stade de blastocyste1) avant d'en prélever des cellules souches. Son expérience a été réitérée avec succès l'année suivante par deux autres équipes. L'une des « astuces » ayant permis ce résultat a été de plonger l'ovule dans un bain de... caféine ! Cette substance aurait en effet la propriété de bloquer le processus de division cellulaire dans une phase favorable à la réussite du clonage.
Shoukhrat Mitalipov et ses suiveurs ont mis en avant le potentiel thérapeutique de leur exploit. Ce clonage humain, arguent-ils, serait légitime dans la mesure où les cellules souches embryonnaires ainsi obtenues constituent l'une des armes les plus efficaces de la médecine moderne.
Nul ne sait avec certitude ce que seraient devenus ces embryons humains si on les avait réimplantés chez une mère porteuse. Des fœtus au développement anormal, condam­nés à disparaître dans une fausse-couche, ou porteurs de graves tares men­tales et/ou physiques ? Ou bien - comme Dolly - des nouveau-nés parfai­tement « sains » et semblables à tous les bébés du monde, à cela près qu'ils posséderaient le même patrimoine génétique qu'un autre être humain sans pour autant avoir partagé avec lui, à l'instar de deux jumeaux homozygotes, le même utérus ?
Malgré ces questions essentielles, malgré les déclarations glaçantes mais non totalement infondées - la technologie existe bel et bien - d'entrepreneurs chinois en mal de publicité, la communauté des généticiens ne semble pas montrer grand intérêt pour les récentes expériences de Shoukhrat Mitali­pov et consorts.
Professeur au Collège de France, membre fondateur de l'institut des maladies géné­tiques Imagine, Alain Fischer balaie la question d'un revers de main. « Cette affaire est caduque depuis la mise au point des cellules iPS », lance-t-il. Développées à partir de 2006 par le Japonais Shinya Yamanaka (récompensé par le prix Nobel de médecine en 2012), les cellules iPS2 ont révolutionné la thérapie cellulaire, jusqu'ici cantonnée aux cellules souches embryonnaires. Maintenant qu'il existe une autre façon - plus simple techniquement et de beaucoup préfé­rable sur le plan éthique - d'obtenir des cellules souches pluripotentes, pourquoi s'embêter à créer des embryons par clonage ? D'autant que, comme le souligne le président du comité d'éthique de l'Inserm, Hervé Chneiweiss, les embryons surnu­méraires, ne faisant pas ou plus l'objet d'un projet parental, ne manquent pas : 170.000 d'entre eux sont actuellement congelés en France, « ce qui suffit largement à couvrir les besoins de la population en termes de besoin de cellules souches embryonnaires ».
Pour l'éthicien en chef de l'Inserm, cependant, le véritable marché ciblé par les partisans du clonage humain n'est pas celui des malades mais celui, autrement plus vaste et « juteux », des femmes souhaitant avoir un enfant à un âge avancé - par exemple lorsqu'elles se sont déjà assuré un beau début de carrière. Avec les années, leurs ovocytes se dégradent, ce qui les rend de moins en moins fertiles. Si elles n'ont pas trouvé de pères potentiels quand elles sont encore en âge d'enfanter, elles pourraient toujours, grâce à la technique de Shoukhrat Mitalipov, se faire prélever un noyau puis, quelques années plus tard, le transférer dans l'ovocyte d'une femme jeune.
C'est aussi l'avis d'Arnold Munnich, codirec­teur de l'institut Imagine avec Alain Fischer. Auteur d'un livre-manifeste, intitulé « Programmé mais libre » (Plon), cet autre ponte de la thérapie génique n'a pas de mots assez durs pour vilipender ses collègues œuvrant au clonage de l'homme : « La grande masse des gens attend de nous que nous guérissions leur enfant ou au moins que nous découvrions de quoi il souffre. Les élu­cubrations des chercheurs de l'Oregon ne sont pas leur affaire. » Hélas, cela pourrait le devenir !

Yann Verdo, « Clonage : vingt ans après la brebis, l’homme ? », Les Echos.fr, janvier 2016.
1.     Blastocyste : stade précoce du développement embryonnaire.
2.     Cellules iPS : cellules souches générées en laboratoire à partir de cellules somatiques.

Document 2 :


Illustration sur le clonage humain, japanus.makes.org

Document 3 :


Clonage humain et éthique sont-ils compatibles ?

Avec les problèmes techniques qui accompagnent le clonage se posent les questions éthiques. Si le clonage reproductif humain est condamné, presque à l’unanimité, le clonage thérapeutique suscite lui de vives controverses : vertigineuse opportunité thérapeutique ou intolérable exploitation de la vie ? On touche en effet ici un point sensible au carrefour des préoccupations religieuses, bioéthiques et médicales : le statut de l’embryon humain. À partir de quand peut-on le considérer comme une personne ? Porte-t-on atteinte à la dignité humaine en créant des embryons uniquement à des fins thérapeutiques ?
Il est délicat de trouver un consensus à ces questions qui font écho à des conceptions si intimes de la vie. L’hétérogénéité des lois entre pays en témoigne. En France, malgré les avis favorables au clonage thérapeutique de l’Académie des sciences et du Comité Consultatif National d’Éthique, une loi interdisant toute forme de clonage humain a été votée par le Sénat en janvier 2003. Son examen par l’Assemblée nationale en deuxième lecture est prévu pour fin mars.
Quel serait le statut civil d’un clone humain ? 
Du point de vue du droit, il serait l’enfant de la femme qui l’aurait mis au monde et de l’homme qui l’aurait reconnu. Mais la question de la filiation biologique des clones humains resterait pour le moins problématique ! Ni frère, ni fils, ni même jumeau…
La question se complique quand on prend conscience qu’un clone pourrait avoir cinq mères : la mère donneuse de l’ovocyte, la mère donneuse du noyau, la mère porteuse, la mère qui élèverait l’enfant et la mère génétique*. Ces relations de parenté totalement redéfinies ne devraient pas pour autant voler aux clones leur nature humaine. La question du statut des clones humains reste heureusement fictive, car les problèmes techniques et éthiques qui s’y ajoutent rendent aujourd’hui inacceptable d’autoriser le clonage reproductif humain.

* un individu issu d’une fécondation hérite d’un lot de chromosomes paternels amenés par le spermatozoïde et d’un lot de chromosomes maternels présents dans l’ovocyte. Il possède donc la moitié du patrimoine génétique de chacun de ses parents. La femme qui possède la moitié de ses chromosomes en commun avec un clone n’est pas la mère donneuse du noyau, mais la mère de celle-ci. Cette femme peut donc être considérée comme la mère génétique du clone.

« Clonage : quels risques ? » Science actualités.fr, février 2003.

Document 4 :

Les vrais jumeaux sont-ils des clones ? Oui, si l’on se limite à la définition du clone comme double génétiquement identique. Les vrais jumeaux sont même de ce point de vue plus proches qu’un animal cloné en laboratoire et sa copie. Les vrais jumeaux ou jumeaux monozygotes proviennent de la division d’un même ovule fécondé par un spermatozoïde. Ils possèdent donc le même génome, contrairement aux jumeaux dizygotes issus de deux ovules distincts. Les patrimoines génétiques de ces derniers sont aussi différents qu’entre frère et sœur.
Les animaux clonés comme la brebis Dolly, eux, ont un matériel génétique légèrement différent de leur modèle, car ils ne possèdent pas le même ADN mitochondrial, un ADN situé à l’extérieur du noyau des cellules, contrairement à l’ADN principal. En effet, le clonage consiste à remplacer le noyau d’un ovule par celui d’une cellule de l’individu à cloner. C’est donc l’ADN principal de ce dernier qui est transmis, et non l’ADN mitochondrial. Après stimulation électrique, l’ovule forme un embryon. Il est ensuite placé dans l’utérus d’une femelle qui donnera naissance à un clone imparfait.
 Les chercheurs ont constaté que les animaux clonés tendent à développer plus de différences entre eux que les animaux issus de grossesses gémellaires. Pourtant, les jumeaux monozygotes sont loin d’être identiques à 100 %. En cause, les mutations qui se produisent dans l’ADN de chacun des embryons lors des premières divisions cellulaires. Elles peuvent induire des différences physiques (un grain de beauté ou la couleur des yeux) ou condamnent parfois un jumeau à une maladie génétique comme la trisomie 21 ou le diabète alors que l’autre reste en bonne santé. L’expression de leurs gènes ainsi que leur apparence vont aussi naturellement diverger en fonction de leur environnement : régime alimentaire, niveau de stress, pollution, etc. Quant aux différences intellectuelles et psychologiques, elles se modèlent à partir de l’expérience personnelle.
Malgré toutes ces nuances, les jumeaux monozygotes sont les êtres les plus semblables qui existent. La probabilité que des frères et sœurs classiques se ressemblent autant génétiquement est nulle, car lors de la production des gamètes (ovules et spermatozoïdes), les gènes portés par les paires de chromosomes s’échangent de façon aléatoire. Résultat : chaque gamète est génétiquement différent. Impossible de concevoir successivement deux êtres humains au patrimoine génétique identique, c’est ce qui fait que chacun de nous est unique.

« Les vrais jumeaux sont-ils des clones ? », Ça m’intéresse.fr

2) Écriture personnelle :

Pensez-vous que le clonage humain doit être interdit ?