lundi 6 juillet 2015

ces objets qui... : éléments de correction du sujet 2015 (métropole)

Pour la synthèse, l'essentiel est le plan. Deux possibilités (parmi d'autres) :
1. Le plan universel :
a) points communs entre les documents
b) différences entre les documents (il ne s'agit pas exactement de vintage dans le document 3, il ne s'agit pas uniquement de jeunes dans le document 2, les buts poursuivis ne sont pas les mêmes dans les quatre documents, la manière d'apprécier ce comportement diffère aussi)
2. Le plan qui distingue les faits et leur critique :
a) description d'un comportement lié aux objets anciens : achat, possession, usage d'objets (meubles, vêtements, appareils, véhicule) et de biens culturels (musique, films) du passé (seconde moitié du XXe siècle ou époque Louis XV pour la bergère)
b) motifs et valeur de ce comportement : mal jugé par certains parents (doc. 1 et 3) mais expliqué et légitimé dans les documents 1,2 et 3.

Écriture personnelle :
Un petit sondage auprès des candidats rencontrés après l'épreuve révèle que le sujet ne présentait guère d'intérêt. C'est effectivement une question que personne ne se pose jamais, ce genre de question dépourvue de toute espèce de nécessité sur laquelle il est d'autant plus difficile, voire impossible, d'avoir un avis personnel, qu'on se fiche complètement de la réponse.
Mais bon, il fallait faire comme si c'était important de savoir si ce culte n'est que superficiel.
Les trois problèmes de lecture du sujet sont :
- l'interprétation du mot "culte" qui peut être pris au sérieux ou considéré comme ayant un sens affaibli. 
- la tournure "ne... que" : tous les candidats n'ont pas vu qu'elle implique qu'on admet que cette attitude est superficielle dans certains cas.
- le mot "superficiel" dont il faut définir le sens, ce qui est loin d'être évident. Certains candidats ont compris l'opposition "superficiel/profond" comme "pas sincère/sincère", d'autres comme "éphémère/durable" ou "sans importance/important".
Pour mesurer le caractère superficiel ou non on peut penser effectivement à l'authenticité sur le plan psychologique et sur le plan social au nombre d'individus, à la durée et aux conséquences du phénomène.

Voici le document remis aux correcteurs pour la correction de l'écriture personnelle du sujet de la métropole 2015

Quelques remarques sur cette proposition :
En fait, elle assimile le superficiel au mauvais et le profond au bon. Le snobisme ce n'est pas bon, la régression non plus, il n'y a que la mode qui soit neutre. Et dans la deuxième partie, il n'y a que du bon : "vrai projet écologique", "vrai attachement", "constructif". On a plutôt l'impression d'un plan négatif/positif.
Pourquoi dire que la mode est par définition superficielle? La mode du vintage, dit le texte 1 du corpus, est "le reflet fidèle de la génération Y, de ses craintes et de ses aspirations". Un reflet fidèle d'une génération est-ce superficiel?
Ensuite, le snobisme est-il superficiel? Est-ce que, par exemple, le snobisme des bourgeois à la Verdurin est insincère, éphémère et sans conséquence?
Enfin la nostalgie, de l'enfance en particulier, est-elle une chose superficielle? En quoi est-il dommageable de chercher refuge dans le passé?
Ce qui peut gêner dans cette proposition de correction c'est qu'on prend pour des évidences ce qui reste à démontrer.
L'autre problème c'est que le sujet d'écriture ne se limite pas au vintage. Le culte des objets anciens est aussi celui des œuvres d'art ou d'artisanat et des objets religieux. Cette proposition n'en parle pas du tout, cela représente pourtant une très grande part de la catégorie "objets anciens".
On peut regretter que l'on n'apprenne pas plus aux étudiants à argumenter ("vous répondrez de façon argumentée") mais qu'on leur propose de juxtaposer de pseudo-évidences. (La culture générale en BTS devrait être enseignée autant par les profs de philo que par les profs de lettres...)

samedi 4 juillet 2015

je me souviens : les raisons du devoir de mémoire



Les raisons du devoir de mémoire peuvent être :

1. Une raison purement morale de compassion ou de reconnaissance.

Le devoir de mémoire peut aussi avoir pour but l'édification. Il servirait à montrer ce qu'il faut détester et ce qu'il faut empêcher (racisme, expansionnisme guerrier, etc.) ainsi que ce qu'il faut imiter (le courage de ceux qui ont résisté, la vertu de ceux qui ont été des justes). Cette édification pourrait à certaines conditions être ramenée à la troisième raison (cf. plus bas).

2. Un intérêt idéologique qui est la légitimation du présent par le passé. 

Un article de Ziya Meral intitulé "A Duty to Remember? Politcs and Morality of Remembering Past Atrocities" apporte une réflexion intéressante sur le devoir de mémoire et en particulier sur la justification par l'histoire. "Its problematic shows itself in the manipulation of the sad events of the past for our purposes now, whether they are political or therapeutic. Therefore, it is no surprise that the Holocaust survivor, Leon Weliczker Wells, questions the moral basis of the use of the Holocaust by Israelis today: “As one whose parents, uncles and aunts, brothers, sisters and cousins were killed by the political madness that dominated Europe, I refuse to stand by now and allow their memory to be used to fuel the ideology of “Kill or be killed!” that dominates Israel and Zionism today.” (As quoted by Winter, 2006: 268) Ce qu'on peut traduire ainsi : "Le caractère problématique de la mémoire historique collective se voit dans la manipulation des événements déplorables du passé pour atteindre des objectifs actuels, qu'ils soient politiques ou thérapeutiques. Il n'est donc pas étonnant qu'un survivant de l'Holocauste, Léon Weliczer Wells, mette en question l'utilisation de l'Holocauste par Israël aujourd'hui. "Etant l'un de ceux dont les parents, oncles et tantes, frères, sœurs et cousins ont été tués par la folie politique qui a dominé l'Europe, je refuse de soutenir et d'autoriser l'utilisation de leur souvenir pour alimenter l'idéologie du "tuer ou être tué" qui domine Israël et le sionisme actuel." Ziya Meral donne un autre exemple de l'utilisation de l'histoire comme légitimation du présent. Il indique que Ben Laden a fait référence aux croisades pour décrire le combat entre le monde occidental et l'Islam et que Kadhafi a affirmé que l'invasion de l'Egypte par Napoléon était la neuvième croisade et l'établissement de l'Etat d'Israël la dixième. Et George Bush, de son côté, a parlé d'une croisade contre le mal. Un autre cas de l'utilisation du devoir de mémoire est celui des régimes qui assoient leur légitimité sur les fautes imputées aux régimes précédents. On en voit un exemple dans l'affiche pétainiste "Souviens-toi" (visible dans la barre de droite) qui dénonce les erreurs du passé. 
Cet emploi de la mémoire pour légitimer le présent se retrouve dans l'évocation des sacrifices faits par ceux qui ont versé leur sang pour la patrie ou pour une autre cause collective dont se réclame un état, une communauté ou un mouvement. Ce sacrifice ajoute en quelque sorte du poids, de la valeur à ce qui en découle aujourd'hui. Ainsi on peut penser que la mort des poilus ou des résistants est commémorée non seulement par compassion, mais également pour renforcer l'attachement à la patrie, à l'état et, par extension, à ceux qui le représentent actuellement. Si des hommes nombreux ont donné leur vie pour quelque chose c'est que ce quelque chose en vaut la peine. En 2012, François Hollande disait : "Le 11 novembre c'est l'évocation de la Grande guerre, nous ne devons jamais oublier tous ceux qui se sont sacrifiés pour que nous soyons ce que nous sommes aujourd'hui". Cela sous-entend, semble-t-il, que ce sacrifice n'a pas été vain ou néfaste, et donc que sans lui notre situation eût été moins bonne aujourd'hui. C'est donc que notre situation n'est pas si mauvaise. Autrement dit la participation à la guerre n'est pas absurde, elle est justifiée. Cela signifie aussi que "ceux qui se sont sacrifiés" avaient le désir que "nous soyons ce que nous sommes aujourd'hui", ce qui n'est pas évident. Si les soldats avaient pu savoir qu'en 2012 l'Europe serait une union politique et économique, il est possible qu'ils n'eussent pas tous accepté de se battre.

3. Une autre raison qui est l'intention d'empêcher que se produisent des crimes semblables à ceux dont on se souvient. Mais on peut douter de l'efficacité de cette démarche.

Il faudrait que les hommes puissent tirer de ces catastrophes passées un enseignement applicable au présent, avec des lois et la connaissance précise d'une causalité. Mais cet enseignement est difficile voire impossible à tirer et à appliquer à des conditions inédites. Comment savoir quelles sont les conditions suffisantes pour qu'un génocide se produise? Les situations ne se reproduisent pas à l'identique. 
C'est ce que pense Hegel."On recommande aux rois, aux hommes d'État, aux peuples de s'instruire principalement par l'expérience de l'histoire. Mais l'expérience et l'histoire nous enseignent que peuples et gouvernements n'ont jamais rien appris de l'histoire, qu'ils n'ont jamais agi sui­vant les maximes qu'on aurait pu en tirer. Chaque époque, chaque peuple se trouve dans des conditions si particulières, forme une situation si particulière, que c'est seulement en fonction de cette situation unique qu'il doit se décider : les grands caractères sont précisément ceux qui, chaque fois, ont trouvé la solution appropriée. Dans le tumulte des événements du monde, une maxime générale est d'aussi peu de secours que le souvenir des situations analogues qui ont pu se produire dans le passé, car un pâle souvenir est sans force dans la tempête qui souffle sur le présent; il n'a aucun pouvoir sur le monde libre et vivant de l'actualité. (L’élément qui façonne l'histoire est d'une tout autre nature que les réflexions tirées de l'histoire. Nul cas ne ressemble exactement à un autre. Leur ressemblance fortuite n'autorise pas à croire que ce qui a été bien dans un cas pourrait l'être également dans un autre. Chaque peuple a sa propre situation, et pour savoir ce qui, à chaque fois, est juste, nul besoin de commencer par s'adresser à l'histoire.)" (Hegel, La Raison dans l'histoire, 10/18, p.35-36)

Ziya Meral prend l'exemple du souvenir des guerres mondiales. "Even though the post WWI world has been filled with memorial sites and events, the 20th century proved to be the most destructive century of all. Jay Winter observes that, “in Britain, the names of those who died in the war of 1939-45 were simply added to those of the Great War. In part, this was a reflection of failure.” (Winter, 2006: 151) It was a failure because most of these memorials, on which new names were simply added, have inscriptions such as “never again” or “lest we forget”. This irony signals to the fact that simply remembering the atrocities of the past is not enough for their future deterrence." Cet exemple montre que, comme dit Meral, le simple souvenir des atrocités du passé ne suffit pas à en prévenir de nouvelles.
L'appel au souvenir peut d'ailleurs justifier de nouvelles agressions et, loin d'empêcher la répétition des crimes, en engendrer de nouveaux, comme le montre la référence aux croisades mentionnée ci-dessus.

jeudi 2 juillet 2015

je me souviens : perdons-nous la mémoire?

Mémoire de la Shoah, du Goulag, mémoire de la colonisation, de l'esclavage, il est de plus en plus question du devoir de se souvenir et pourtant, étrange paradoxe, beaucoup affirment que notre époque perd le sens du passé, se replie sur le présent, et que nous sommes menacés d'amnésie. Notre époque est taxée de "présentisme". "Jamais l’immédiat n’a occupé une position aussi hégémonique, prétend Alain Finkielkraut dans L'Identité malheureuse. Jamais il n’a fallu un tel effort de volonté pour ne pas perdre le fil. Jamais l’oubli n’a été paré de couleurs aussi vives." De même, Olivier Rolin écrit dans Tigre en papier : "Aujourd'hui il semble qu'il n'y ait plus que du présent, de l'instantané même". Et un historien, Jean-Pierre Rioux intitule un de ses livres La France perd la mémoire. "Il ne peut y avoir « tyrannie » de la mémoire puisqu’il n’y a plus de mémoire", affirme Annette Wievorka. Un constat similaire se retrouve chez bien d'autres. Comment expliquer cet apparent paradoxe? C'est peut-être que la mémoire historique aujourd'hui se tourne vers le mal. Le devoir de mémoire nous enseigne l'horreur, la honte, ce qu'il faut éviter. La mémoire historique ne nous désigne plus la voie à suivre (faire comme nos aïeux conservateurs ou révolutionnaires), elle nous montre des gouffres où nous risquerions de tomber si nous n'y prenions pas garde. Il semble que notre mémoire historique soit devenue pessimiste et mortifiée au lieu d'inspirer l'espoir d'un temps meilleur ou la fidélité à un passé respecté. Notre mémoire est devenue compassionnelle. Elle n'alimente plus l'espoir de la révolution, de la grandeur nationale ou du maintien de l'ordre établi. Elle ne nous sert plus guère à justifier un engagement politique et à nous représenter l'avenir. Les faits sur lesquels portent le devoir de mémoire (Shoah, guerre de 14-18, esclavage, etc.) ne sont vivants que dans la mesure où subsistent des témoins (Shoah), des témoignages ou des descendants qui s'identifient au moins partiellement aux victimes (esclavage). Ils sont cependant détachés du présent dans la mesure où ils ne peuvent rien engendrer d'autre que la réprobation, ils ne donnent aucun élan, aucun modèle pour le présent, tout ce qu'on veut c'est qu'ils ne se reproduisent pas. A l'époque précédente au contraire (celle d'avant la chute du mur), la mémoire historique justifiait des projets tels que faire la révolution (communisme) ou restaurer la grandeur de la France (gaullisme). C'est sans doute pour cette raison que certains, tel Olivier Rolin, ont l'impression qu'il n'y a "plus que du présent". C'est parce que ce qu'il appelle la "civilisation française" lui semble battue en brèche que Finkielkraut dit que "notre pays est aujourd’hui menacé d’amnésie". La mémoire dont parle Rolin est celle de la révolution et du communisme. La mémoire dont parle Finkielkraut est celle de la grandeur passée de la France, patrie des droits de l'homme et phare culturel. Le problème est que le communisme est comateux et que la culture française n'est plus un modèle pour le monde. Notre mémoire évolue, elle ne disparaît pas. Elle devient supranationale (Shoah, esclavage, Goulag) et elle n'est plus affectée comme avant par le patriotisme ou le communisme. Est-ce vraiment regrettable? On a le droit de penser que non. N'est-il pas temps de se souvenir de l'Europe et de la Terre au lieu d'avoir la nostalgie de la France?